Entendu au salon : l’aide par actif agricole, encore une autre fausse bonne idée

Le salon de l’Agriculture 2014 vient de fermer ses portes. Je dois tout d’abord dire qu’une fois de plus, j’en suis sorti profondément impressionné. Noir de monde, le métro bondé, les allées pleines surtout dans les zones d’élevage, c’est un témoignage de première main du respect des français pour leur agriculture et leur soutien pour leurs agriculteurs (et agricultrices). L’espagnol que je suis resté, sous la couverture européenne, rêve de tels sentiments « dans le pays que je connais le mieux » pour reprendre la terminologie politiquement correcte.

Cette visite fut l’occasion de rencontrer beaucoup de collègues et d’amis et de participer à une table ronde organisée par la Confédération paysanne sur la réforme Ciolos et son bilan. Le message qui me fut passé est clair : l’aide à l’hectare est illégitime, il faut la remplacer par une aide à l’actif agricole.

Que le système d’aide directe actuellement en vigueur a de sérieux problèmes de légitimité, c’est un constat sur lequel nous pourrions nous accorder. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Commission a proposé, entre autres,  le verdissement des aides, la convergence interne et externe. Mais la solution est-elle vraiment une aide à l’actif agricole ? Permettez-moi d’en douter. Je crois que c’est, une de plus, une autre fausse « bonne idée ».

Tout d’abord, il faudrait définir de manière harmonisé ce qu’est un « actif agricole ». En se basant sur l’expérience d’Eurostat, on pourrait faire référence à un nombre déterminé d’heures de travail passé sur l’exploitation. Comment contrôle-t-on ses heures ? On peut bien sur exiger le tenue d’une comptabilité horaire par l’agriculteur (est-ce bien une simplification ?) mais comme il y a des travailleurs et des fainéants, il faudrait certainement reconvertir tout cela en « heure standard équivalente ». Même à la Commission quand nous avons essayé de simplifier, nous ne sommes pas arrivés aussi loin !

A moins que l’on ne mesure les heures sur base des hectares de l’exploitation, en faisant un calcul forfaitaire d’un nombre d’heures standards par culture ou groupes de culture, que l’agriculteur devrait déclarer. Plus on utilise les hectares comme référence, plus on se rapproche d’une variante du système actuel.  Comme les besoins en main d’œuvre des différentes cultures divergent, il faudrait que la déclaration de l’agriculteur les détaille suffisamment. Cela ne pose pas trop de problème pour les grandes cultures ou l’élevage, mais la liste risque d’être longue pour les fruits et légumes, secteur grand employeur de main d’œuvre. De nouveau, est-ce une simplification ?  Il serait alors plus simple peut-être d’exclure au moins les légumes du régime d’aide.

Si on donne une aide par actif agricole, il faut logiquement penser à donner une demi-aide, ou un quart, aux actifs à temps partiels. Il est vrai que l’on peut résoudre ce problème avec une aide de base « petit agriculteur », par actif comme nous l’avons par hectare. Tout actif la recevrait. Venant d’un pays qui connait 25% de chômeurs, avec des centaines de milliers de familles sans aucune ressource puisqu’elles ont épuisé le chômage et nous n’avons pas de RMI, je suis certain que nous assisterions à un retour massif, réel ou fictif, à la campagne et à l’explosion du nombre de bénéficiaires.

Quand lors de la table ronde où j’étais invité, j’ai commencé à décliner les difficultés techniques de l’opération, j’ai senti que j’irritai l’auditoire. Et pourtant, si on veut qu’une proposition fasse son chemin à l’Europe, qu’elle puisse dégager une majorité politique suffisante pour devenir réalité, il faut qu’elle soit parfaite du point de vue technique. C’est une condition nécessaire même si elle est loin d’être suffisante. Dans ma jeunesse, on parlait de « l’analyse concrète de la réalité concrète ».

Même en supposant qu’elle soit bonne techniquement, une telle innovation n’a de sens que si nous abandonnons définitivement les références historiques, non seulement entre producteurs d’un même Etat membre mais aussi, mais surtout, entre Etats membres. Sous cette formule, elle représenterait un transfert massif des pays qui ont une agriculture à forte productivité (France en premier lieu et bien sûr ; Allemagne ; Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas, …) vers les nouveaux Etats membres à population active agricole nombreuses et les pays à taux de chômage élevé. Il me semble peu probable qu’il soit possible de dégager un consensus, ou même une majorité qualifiée suffisante, sur une telle approche.

Mais supposons que la proposition tient la route techniquement et que nous sommes suffisamment habile pout hypnotiser les Ministres et les députés européens, est-ce vraiment raisonnable?  Le débat avec la salle (et certains autres participants de la table ronde) me ramena 20 ans en arrière, quand nous étions en train d’écrire la première Communication de la Commission qui allait lancer la réforme Mac Sharry. Nous avions mis dans le texte que notre objectif était de maintenir un nombre « suffisant » d’agriculteurs en Europe. Le cabinet voulut que l’on remplace l’adjectif par « maximum » mais se rendit à nos arguments quand nous argumentèrent qu’avec des aides directes, le nombre « maximum » pouvait être l’infini.
La création d’emploi stable, de qualité doit être un, dans mon pays doit être le premier, objectif clair de la politique économique et de la dépense publique. Il faut multiplier les opportunités d’emplois sans bloquer le développement productif. En caricaturant à l’excès, je sais, une des manières radicales d’éradiquer le chômage serait de remplacer les photocopieuses par des écrivains. Moi qui suis fermement convaincu qu’il faut réfléchir à une autre croissance, plus qualitative que quantitative, dans un monde limité aux ressources limités, je crois beaucoup qu’il existe là des gisements d’emplois qui peuvent contribuer à augmenter le Bonheur Général Brut. Pour ne prendre qu’un exemple, limiter ces 30 à 50% des produits agricoles qui ne sont pas valorisé aujourd’hui est un défi écologique et économique mais aussi une source d’emploi.

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Pour en savoir plus sur la réforme Ciolos, on peut aller sur la note de cours n°15 de mon cours sur la PAC que j’enseigne à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Libre de Bruxelles, http://tomasgarciaazcarate.com/es/contenido/universidad/apuntes/53-ud15-lavenir-de-la-pac-post-2013